29 Novembre 2020
« Jouer, c’est expérimenter le hasard »
Cette citation du poète allemand Novalis ayant vécu durant la fin du 17ème siècle et dont j’ignorais le nom avant de faire cet article/vidéo, se prête bien à la thématique d’aujourd’hui !
Elle n’est évidemment pas adaptée au retrogaming mais laissez-moi vous expliquer pourquoi je trouve qu’elle s’y prête bien quand même!
En effet, le retrogaming n’est-ce pas aussi tomber, par hasard, sur des pépites malheureusement oubliées ?
Bon vous me direz qu’en mettant notre chapeau d’archéologue du gaming, on peut aussi tomber sur des jeux vraiment pas terribles mais promis ce ne sera pas le cas pour le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui ;-)
Les jours passent vite, en cette saison automnale, depuis ma dernière vidéo sur la Lynx qui m’avait pris beaucoup de temps, et des idées de sujets me viennent, mais aucun ne me motive réellement et comme je n’ai pas envie d’aborder un sujet classique ou déjà vu mille fois, je préfère attendre encore un peu de trouver LE bon sujet !
Finalement pour revenir au hasard, tout a commencé par une banale discussion sur facebook.
Un vendeur à qui j’avais déjà acheté des jeux dans le passé, me propose certains jeux et l’un d’entre eux retient mon attention, je le connais de nom mais c’est tout. Il s’agit d’un shoot em’ up sur game boy rare et relativement cher (dont je vous parlerais une autre fois) mais après des recherches où finalement je trouve très peu dans la presse, je me dis que je n’aurais pas assez pour vous proposer quelque chose de suffisant.
J’ai alors l’idée de faire un top 3 ou top 5 des shoot’ em up moins courants de la game boy mais en augmentant de 3 à 5, je creuse forcément le sujet, et l’un d’entre eux retient particulièrement mon attention. Je le teste et je deviens immédiatement accro à ce jeu !
Je regarde les crédits, plusieurs noms de l’équipe de développement japonaise sont indiqués.
L’un d’eux est programmeur. Je regarde sa biographie, tombe sur une interview réalisé par Nintendolife.com.
Je décide de le contacter. Je ne pensais pas forcément obtenir de réponse et alors que je me résigne à ne parler de ce fameux jeu que dans un rapide test, je reçois une réponse, en japonais…
Ça y est aussi excité qu’un geek rencontrant Shigeru Miyamoto, ou qu’un enfant découvrant sa game boy au pied du sapin en 1990, je suis plus motivé que jamais car je tiens enfin mon principal sujet!
Alors j’ai beau être allé au Japon il y a deux ans et avoir kiffé essayé dire quelques mots, je ne comprends pas un mot. Heureusement cela se produit en 2020 et des traducteurs en ligne, on ne peut pas dire qu’on en manque !
Je les utilise afin d’obtenir la meilleure version car vu les nuances de la langue japonaise, le sens de la phrase peut très vite se voir changé !
Je voulais remercier encore une fois M. Mitsuto Nagashima car il a été incroyablement sympathique et disponible avec moi et m’a donné beaucoup de choses pour que je puisse vous parler de ce jeu, j’ai nommé Chikyū Kaihō Gun ZAS mais nous garderons ZAS pour plus de simplicité !
Cela signifie en japonais « Armée de libération de la Terre ».
Je vais donc vous raconter un peu la genèse de ZAS et comment Mitsuto Nagashima et l’équipe talentueuse de T&E Soft ont pu concevoir ce jeu qui pour moi est un véritable ovni du catalogue de la game boy.
Ce jeu est sorti le 18 décembre 1992 au Japon et n’a malheureusement jamais quitté le territoire japonais.
Il a été développé par la société T&E Soft qui constitue les initiales de ses fondateurs, Toshiro et Eiji Yokoyama.
Cette société est surtout connue pour avoir développé la licence Hydlide, dont l'AVGN et le JDG avaient d'ailleurs parlé dans une de leurs vidéos, et quelques jeux sur Virtual Boy dont Red Alarm et 3-D Tetris.
Souhaitant postuler pour la société T&E et afin de lui montrer ce qu’il sait faire, il leur présente le prototype d’un jeu de tir vertical réalisé sur un ordinateur NEC, le PC-8801mkII SR, qui a connu beaucoup de succès au Japon mais n'a jamais été commercialisé dans le reste du monde.
D’après lui, c’était un ordinateur limité mais il lui a permis de se familiariser avec la programmation. Il est équipé d’un processeur 4Mhz, issu du Zilog Z80, le même processeur qui équipera la game gear et qui est également proche en fréquence du processeur qui équipe la game boy.
Le prototype n’a jamais été publié avant cet article, c’est pourquoi je suis très heureux de vous le présenter et je suis incroyablement reconnaissant envers M. Nagashima qui me permet de le publier !
Je vous montre maintenant dans les liens suivants deux vidéos du prototype que M. Nagashima m'a envoyé. Malheureusement il s'agissait de fichiers gif et il n'y a dès lors aucun son.
Ces vidéos du prototype et l'ensemble des éléments contenus ne sont pas libres de droits. Toute utilisation d'un ou plusieurs de ces éléments doit faire l'objet d'une demande auprès de Blog2geeks.
Dans l’équipe de ZAS, il sera accompagné de Michiaki Takahashi qu’il avait rencontré quand il était étudiant et qui s’occupera de la partie graphique du jeu.
Tadashi Nakatsuji était leur superviseur et l’aida aussi à programmer le son et les effets sonores. C'était très agréable de travailler avec lui selon Mitsuto Nagashima qui appréciait cette relation de travail avec son supérieur qui le consultait régulièrement dans différents domaines.
« Il y a finalement très peu de choses de ce prototype que j'ai transmis au jeu ZAS (NDA : j'ai quand même remarqué quelques points communs mais j'y reviendrais plus loin), mais je pense avoir acquis en le réalisant, le savoir-faire nécessaire pour fabriquer un shoot em up sur une machine de faible puissance.
Comme le matériel était différent, j'ai du repenser tous les mécanismes à partir de zéro.
Nous ne voulions pas faire un système de jeu compliqué pour la GameBoy, donc nous l'avons gardé aussi simple que possible. »
Il me dit ensuite qu’il avait été impressionné par le jeu Twinbee de Konami, sorti en 1990 au Japon. Il faudra attendre 1994 pour qu’il soit uniquement localisé en Europe (version NOE) sous le nom Pop’n Twinbee.
« J'ai souvent regardé les jeux GameBoy de différentes sociétés, mais le jeu de Konami était particulièrement génial.
En effet, j'ai remarqué que les coups de TwinBee étaient affichés plus finement que les autres.
J'ai été impressionné par l'utilisation du clignotement pour rendre l'affichage plus fin.
On aperçoit sur la vignette les vaisseaux démultipliés et leurs tirs qui ont inspiré Mitsuto Nagashima pour ZAS
Je pensais que c'était une technique qui ne pouvait être réalisée qu'avec des cristaux liquides, et j'ai pensé que je pourrais utiliser davantage ce mécanisme, alors j'ai imaginé le double défilement en transparence de ZAS.
NDA : (double défilement "translucide" était le mot qui m’a été traduit, je pense qu’il s'agit dudéfilement parallaxe ou parallax scrolling qui est une technique fortement répandue à l'ère 8-16bits (et encore aujourd'hui) et donnant une réelle impression de profondeur et de mouvement en faisant bouger des arrières-plans à des vitesses différentes (Shadow of the Beast et ses 13 arrières-plans en est l'exemple type).
Nous avons créé une version de test et l'avons fait examiner en interne, mais le clignotement était perceptible, même sur les écrans LCD, et nous avons pensé qu'elle était inutilisable.
Cependant, lors d'une réunion interne, nous avons quand même décidé de l'utiliser pour se démarquer des autres entreprises.
Plus tard, Takahashi nous a aidés à créer un arrière-plan qui ne faisait pas apparaître les clignotements ou du moins de façon discrète, et c'est ainsi que nous en sommes arrivés là où nous en sommes aujourd'hui.
Je pense que le double défilement du niveau 3 a eu un grand impact. Takahashi a créé la plupart des graphismes ZAS. On peut dire que ZAS n'aurait pas pu se faire sans lui.
Je n'ai pas trouvé beaucoup de difficultés à programmer ZAS.
J'ai programmé comme je l'imaginais avec l'idée du level design des niveaux, et Takahashi a rendu cela possible malgré les performances graphiques simples de la Game Boy.
C'était plutôt un défi de trouver des idées pour chaque niveau. »
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« Pour ce qui est de la musique, on nous a dit que nous pouvions utiliser ce que nous voulions à partir du stock de plus de 100 chansons de la société à l'époque, donc nous avons pu choisir la musique que nous voulions.
J'aime toutes les musiques de ZAS.
Satake-san (Yumi Satake, également connue sous le nom de Yumi Kinoshita) et Shigekazu Kamaki ont parfaitement converti les musiques sélectionnées pour les adapter sur GameBoy.
NDA : Je vous propose de les écouter dans les liens ci-dessous, je vous les ai enregistrées comme on peut les écouter directement depuis le menu. Il faut noter que chaque niveau a un thème mais également chaque boss!
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Petite parenthèse technique : l'émulation du jeu
Il faut savoir que le rendu de ce jeu sans utiliser une game boy originale n’est pas optimal, mais d’après ce que j’ai pu lire, le jeu se comporte mieux sur Super game boy 2 que sur la première version.
Je vous donne quelques conseils pour pouvoir pleinement profiter de ce jeu car vu son prix (300-350€ la cartouche et 1500 à 1800€ voire plus pour le jeu complet!), il est fortement probable que vous ne puissiez y jouer comme moi que sur émulateur.
Pour ma part, j’ai d'abord testé avec deux émulateurs game boy sur ma DS : Gameyob et Lameboy.
Gameyob est un très bon émulateur mais sur ce jeu, certaines fois a fait disparaître partiellement ou totalement le décor en arrière plan (niveaux 1 et 3) et montre moins le clignotement qui donne cet effet de profondeur.
Par exemple si je compare la version du niveau 3 entre les deux émulateurs, je n’obtiendrais pas le décor sous les nuages avec gameyob alors qu’avec lameboy il sera présent, malgré quelques sursauts d'images ponctuels.
Lameboy est donc pour moi l’émulateur qui se rapprocherait le plus de la version originale.
Du côté du PC, mes premiers essais sur bgb n’ont tout d'abord pas été très concluants avec un clignotement gênant à certains endroits mais finalement après quelques réglages, je trouve que cet émulateur se défend bien, j'ai testé également la version 64 bits.
En revanche, le core gearbox sur retroarch a bien mieux géré notamment le test du 3ème niveau, mais pourra éventuellement donner le vertige quand ponctuellement des morceaux du décor s’en vont sur le premier niveau ou avec des clignotements trop rapides !
Pour terminer mes essais, j’ai découvert un excellent émulateur appelé HhugBoy, je pense qu’il rend vraiment honneur à ce jeu. Simplement le clignotement, même s’il peut être désagréable par moment voire sur certains émulateurs véritablement difficile pour jouer, apporte lorsqu’il est léger une certaine profondeur que je n’ai pas réussi à retrouver. Par exemple dans le premier niveau avec Lameboy j’ai l’impression qu’il y a du brouillard et un effet de flou derrière les nuages, et dans le niveau 3 cette impression est renforcée car les nuages déforment en bougeant ce qui se situe sous eux !
Je comprends dès lors totalement pourquoi ce fameux clignotement a une importance capitale pour ce jeu !
En vidéo ICI sur notre chaine youtube, vous aurez un aperçu des différences de rendu de l'émulation du jeu (si vous connaissez un autre émulateur qui remplit parfaitement son office sur ce jeu, n'hésitez pas à me l'indiquer en commentaires) mais voici déjà quelques photos des émulateurs DS.
L'émulateur gameyob m'a finalement affiché l'arrière plan sur la dernière photo mais ce n'est pas systématique! (uniquement niveau 1)
Mitsuto Nagashima avec le jeu en boite puis sur pocket ;-)
Boite du jeu, cartouche et manuel d'utilisation
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Quelques mots sur le jeu avant vous le montrer en action !
Suite à son abandon par les humains en raison d’un monde trop pollué pour aller sur Mars (la fiction rejoindra-t-elle un jour la réalité?, je n’espère pas), les robots ont décidé d’occuper cette dernière afin de la coloniser. Une armée de libération s’organise alors pour reprendre la terre à ces envahisseurs.
Votre vaisseau a la particularité de pouvoir déployer deux canons satellites et de les utiliser afin d’élargir le champ de tir, simplement les tirs déployés seront moins puissants qu’un tir concentré.
Sur votre parcours, vous rencontrerez des bonus vous octroyant une puissance de feu supplémentaire, des boucliers qui pourront être cumulés ainsi que des vies mais rares !
Si vous arrivez à ne pas vous faire toucher, vous pourrez avoir une puissance de feu vous permettant de battre les boss très rapidement, mais le jeu est plutôt exigeant et rapide même au niveau normal et il faudra faire et refaire plusieurs fois les mêmes passages pour les mémoriser et ainsi améliorer le plus possible son sens du placement. Ce sera en effet la clé pour se sortir de situations complexes, et basculer du mode canons étendus au mode simple deviendra une habitude !
Vous disposez de 3 continues. Il existe aussi un cheat code accessible dès le menu du jeu où il faut en appuyant simultanément sur A et B, appuyer sur Select 60 fois, pour obtenir ainsi 6 continues au lieu de 3. Il faut également noter le système de checkpoints appréciable sur certains niveaux plus difficiles, ce qui vous permettre de reprendre à un passage plus proche de celui où vous vous étiez arrêté.
Il faut saluer la rejouabilité du jeu qui est importante.
Les niveaux ne sont pas courts et sont agréablement variés. Outre la technique bluffante du niveau 3 dont je vous parlais, je salue aussi les effets de double arrière-plan sur le niveau 2 et l’idée du labyrinthe du niveau 4, dont un passage m’a fait penser à un certain R-type mais cette fois en vertical.
On notera l'absence de décor derrière les boss mais vu la taille de ces derniers cela peut se comprendre!
Comme dans tout jeu de ce type, si votre équipement est puissant, vous viendrez facilement à bout des boss, par contre si ce dernier ne l’est pas, vous aurez plus de fil à retordre.
Il faut également relever la différence du déroulement du combat pour les boss des niveaux 4 et 5, mais vous verrez par vous-même ;-)
Pour revenir aux points conservés dans ZAS en comparant avec le prototype, on peut noter que certaines évolutions de missile sont identiques, que le boss du 1er niveau ressemble beaucoup même s’il semble plus développé sur game boy, et que le level design de certains niveaux labyrinthiques (2 et 4 notamment) semblent aussi inspirés du prototype.
***
Pour terminer, j’ai demandé à M. Nagashima quel avait été son parcours ensuite jusqu’à aujourd'hui.
Voici ce qu’il m’a répondu :
« Après ZAS, j'ai réalisé deux RPG appelés "Sword World SFC" chez Super Famicom.
Ensuite, j'ai créé "Red Alarm" (Virtual Boy).
J'ai quitté T&E à la fin du jeu de réflexion "Cu-On-Pa SFC".
J’ai rencontré Gunpei Yokoi pour le développement des jeux Red Alarm, 3D Tetris et Cu-On-Pa. C’était une très bonne expérience.
Après cela, j'ai travaillé sur "TMNT Arcade Attack" pour la DS, et maintenant je travaille sur "KINGDOM HEARTS Uχ Dark Road" sur mobile.
J'ai également travaillé sur un certain nombre d'autres jeux, mais la plupart d'entre eux ne sortiront qu'au Japon.
Je suis très reconnaissant du fait que mes créations ont été appréciées au-delà des frontières de mon propre pays.
Il y a quelque temps, je regardais certaines de mes propres créations sur YouTube, et c'était nostalgique. Il y avait des choses que j'avais complètement oubliées.
Je pense qu'il est parfois bon de se souvenir du passé. »
***
J’ai trouvé cette citation d’Anatole France qui fait écho à cette dernière phrase de Mitsuto Nagashima :
« Ne perdons rien du passé. Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir. »
Conclusion :
Un jeu incroyable techniquement parlant et bluffant pour le support!
Une bande son au top!
Une difficulté relevée même en normal, mais...
des checkpoints quand vous mourrez!
Une bonne rejouabilité même si vous le connaissez par cœur
Qu’attendez-vous 😉?